Episode 3
La punition
C’était l’heure de la punition et comme à chaque fois, nous
informe-t-on, le navire était mis en panne afin que tout l’équipage puisse y
assister. Seul un veilleur restait en poste sur la Hune pour prévenir d’une
approche suspecte.
Une partie des mousses, matelots et officiers étaient en
demi-cercle sur le pont principal et pour le reste sur le gaillard d’avant.
Au pied du premier mat, deux gabiers avaient placé, sur
ordre, une sorte de petite table avec sur un côté le plateau recourbé. Le premier
maître Rolin nous instruisit que c’était le maître gabier Gary qui était chargé
de l’exécution des sanctions mais uniquement envers les membres d’équipage de
sexe féminin. Je n’osais demander qui s’occupait de ceux du sexe opposé. De
toute manière je n’avais pas envie de le savoir. Enfin pas tout de suite…
Félanie appelée par le capitaine, sortait des rangs et se
plaçait les mains au dos face à ce dernier. Cette jeune femme blonde ne devait
pas avoir plus de 25 ans et je ne pouvais qu’admirer en silence la belle courbe
de ses hanches qui contournaient une paire de fesses dodues que son pantacourt
moulait merveilleusement. J’avais hâte que ce vêtement soit descendu à ses
chevilles.
-
Matelot Félanie ! parlait fort le
capitaine pour que tout l’équipage entende. Vous n’avez pas assuré en temps et
heure la relève à la barre. Conforme au règlement disciplinaire de ce bâtiment,
cette faute est sanctionnée par châtiment corporel au niveau 3. Conformément
aux droits et devoirs du capitaine et de ce même règlement en ce qui concerne
le niveau 3, il me revient la responsabilité de définir la punition. Après
avoir consulté votre carnet de punition vierge de toute précédente
condamnation, j’ai décidé qu’il vous serait administré seulement le minimum
prévu pour cette catégorie de faute, à savoir 20 coups de martinet sur les
fesses nues. Matelot Félanie, avez-vous une objection à formuler ?
-
Non capitaine ! répondit-elle en
ravalant sa salive.
-
Considérant donc que vous acceptez la
punition, je commande aux gabiers Granblon et Donemoi d’attacher la punie et de
la déculotter pour que le maître gabier Gary puisse administrer la flagellation
définie par mon jugement.
C’était la première fois que j’assistais à ça. Certes
c’était un peu protocolaire mais ça ne manquait pas d’un certain charme. Dorine
devait également trouver la scène à son goût vu que son regard brillait de
jubilation et ne s’en détournait pas. Peut-être était-ce même de l’envie ?
Je serais prêt à parier que son souhait n’était peut-être pas si éloigné du
mien car je ne devais certainement pas être le seul Vagalâmeur à avoir ce
fantasme ; mais fort des conseils du Chym, je me garderais bien de lui en
parler.
Maintenant Félanie était courbé sur la petite table, les
mains liées au mat d’avant, les chevilles libres et la croupe dénudées bien
offerte. J’eux un frisson en voyant le martinet que le maître Gary tenait dans
sa mains. Effectivement, comme l’avait dit Lilote, l’instrument devait être
redoutable. Je passe le détail du manche car il n’est pas différent de ce qui
se fait ordinairement, mais, pour ce qui est des cinq lanières, c’est plutôt du
calibre bien au dessus de la moyenne. A vue d’œil, j’estimerais leur diamètre à
pas loin d’un centimètre et taillé dans un bon cuir souple et dense. Nul doute,
l’instrument devait méchamment cingler !
Le maître gabier Gary cherchait la meilleure position
pour frapper au plus juste cette belle paire de fesses offerte. Lorsqu’il leva
son bras, tous l’équipage, des mousses au capitaine, a retenu son souffle.
« Slak ! » Les lanières s’abattirent en
travers des deux globes. Félanie se crispa en étouffant un cri. Cri qu’elle ne
pourra retenir au-delà du sixième coup. Le cuir laissait de bonnes empreintes
rouges avec une touche plus carmin à l’extrémité de l’impact.
Pas de doute, cet instrument devait mordre très
douloureusement et pourtant, maître Gary ne semblait pas forcer les frappes. Je
n’osais imaginer ce même instrument dans la main d’un fou furieux.
La pauvre Félanie criait et se tortillait de douleur. 20
coups me paraissaient pourtant peu mais ce qui faisait la différence, c’était
le martinet et celui là, n’était pas le petit martinet de boutique avec de
légères lanières comme avaient mes parents. J’espérai au regard de ce que je
voyais, ne jamais subir une sanction de niveau 3 et être flagellé de la sorte.
Témoin de cette punition, il me devenait évident que les
histoires de châtiments rapportées dans les tavernes n’étaient pas des
racontars comme le pensaient certains Végétateurs.
Pourtant, l’excitante idée d’être puni pouvait m’être
alléchante, mais vu ce à quoi j’assistais, je préférais m’abstenir de tout
manquement au règlement avant d’en savoir plus sur les niveaux 1 et 2.
La flagellation était terminée, les fesses étaient bien
marquées et par endroits de petites boursouflures sculptaient les stries.
-
Gabier Granblon et Donemoi, détachez et
accompagnez le matelot Félanie jusqu’à l’infirmerie ! Commanda le
capitaine. Aspirante Aline, vous vous occuperez de calmer ses maux. Adjoint-il
en s’adressant au médecin de bord.
Ooh, Le toubib du Bouchtrou était une femme ! Voilà
une très intéressante information ! J’ai toujours aimé me faire tripoter
par les infirmières, ça doit-être encore mieux par une femme médecin, plus de
grade donc plus d’expérience. Pensais-je en rejoignant mon poste de nettoyage.
Cette corvée n’était pas un travail pénible, je devais
avec Dorine faire briller et graisser le guindeau du gaillard d’arrière une
fois par jour. Ça nous occupait entre deux initiations au combat. Non loin de
nous, à briquer les crémaillères des souffleurs, Jéon était livide, la punition
de Félanie l’avait complètement retournée. Lui, c’est sûr que son souhait
n’était pas dans cette catégorie là.
C’était l’enseigne de vaisseau Mirabelle qui s’occupait
de veiller à la propreté de tous les appareils qui se trouvaient sur le bateau
autre que l’armement. Une jeune femme assez stricte dans l’application de sa
tâche mais qui ne rechignait pas à papoter un peu avec les mousses que nous
étions provisoirement.
4 années qu’elle était embarquée, nous narrait-elle,
d’abord sur le Hodekeur qui fut coulé par un navire Creuztatomb puis sur le
Bouchtrou qui l’a récupéré trois jours plus tard dérivant sur un tronçon de
mat. Elle avait eut de la chance, nous disait-elle, que le Bouchtrou avait
subit une attaque des Kidnapingres avec des pertes assez importantes et qu’il y
avait donc besoin de remplaçants, sinon, le capitaine ne l’aurait jamais prise
à bord et l’aurait laissé dériver sur son bout de mat jusqu’à ce qu’elle meurt
de faim ou qu’elle tombe sur un ban de lapin de mer.
Ainsi était la dure réalité de la vie des Vagalâmeurs… La
concurrence entrainait souvent des excès.
Ce soir, Dorine et moi avions un peu de temps libre, nous
seront de quart à 4 heures du matin ce qui nous laissait de la marge. Notre
bateau poursuivait sa route vers nulle part. Il n’y avait pas vraiment de cap
défini, seule la recherche d’autres navires était importante. Non pas ceux des
Vagalâmeurs qui, s’ils avaient des inqêteurs ou Inquêtrices à bord à la suite
d’un combat, devenaient inattaquable tant qu’ils n’avaient pas rejoint un port
et ceci par une loi impériale qu’il valait mieux respecter à la lettre. Notre
chasse concernait tous les navires des autres nation car les Inquêtrices et
Inquêteurs s’embarquaient à leur bord espérant être récupérés par un bâtiment
Vagâlameur et y trouver à son bord l’élu(e).
C’était une étrange situation ; les Vagalâmeurs
devaient absolument aller à la rencontre de leurs adversaires. Toute la quête
se déroulait uniquement sur l’océan car les ports étaient des zones neutres qui
n’étaient ouvertes que pour le ravitaillement, les réparations et si parfois on
pouvait y apercevoir quelques Inquêteurs féminins ou masculins, ils n’étaient
là que pour embarquer sur des navires autres que ceux des Vagalâmeurs. Je me
demandais bien pourquoi d’ailleurs alors qu’il était si simple pour eux et
surtout moins risqué de monter à bord d’un de nos navires pour y trouver une ou
un Vagalâmeur ; c’était bien là une complète absurdité !
Les villes portuaires étaient dangereuses tous nos
ennemis y rodaient et il était recommandé aux Vagalâmeurs de ne pas s’aventurer
dans les rues de ces villes, du moins pas tout seul. Le meilleur était donc de
rester dans l’enceinte du port car elle était zone neutre et il était formellement
interdit de s’y confronter ; les redoutables gardes impériaux veillaient à
ce que ce règlement soit respecté.
Dorine et moi nous étions vautrés sur le pont du gaillard
d’arrière. L’air était doux et les feux du bateau se reflétaient dans le miroir
sombre de l’eau. A l’autre bout, sur le gaillard d’avant, une quinzaine
d’anciens chantaient des chansons de marins. Sur le pont principal, quelques
officiers discutaient. Là-haut, juste au dessus des vergues supérieures, assis
sur les hunes, les deux veilleurs scrutaient la nuit à la recherche d’un feu de
navire.
-
Dis-moi Mike, me demanda Dorine, qu’as-tu
pensé de la punition de Félanie ?
-
J’ai juste pensé qu’il ne valait mieux pas
faire de connerie ! répondis-je avec une petite grimace.
-
C’est tout ?
-
Oui !
-
C’est bizarre, il me semble que tu étais
plutôt troublé. Me dit-elle en ricanant.
-
Troublé, Heu… Oui bien sur, c’est la première
fois que j’assistais à ça. Jusqu’à aujourd’hui, j’en avais seulement entendu
parler.
-
Faut dire que le martinet de punition est
terrible. Hou ça doit faire vraiment très mal !
-
Tu l’as dit ! C’est pour ça qu’il vaut
mieux se tenir peinard.
-
Tu as déjà reçu le martinet ?
M’interrogea-t-elle.
-
Oui bien sur, comme beaucoup quand j’étais
gosses. Mais il y a déjà un bon moment et ça n’avait aucun rapport avec le martinet
d’ici. Répondis-je un peu gêné de la question.
-
Jusqu’à quel âge ? Etait-elle bien
curieuse.
-
Je ne m’en rappelle plus… Peut-être 11 ou 12
ans. Peut-être 13…
-
Et ça te faisait quoi ?
-
Ça me faisait mal pardi !
Elle éclata de rire.
-
Qu’est-ce qui te fais rire ?
M’étonnais-je.
-
Ta réponse !
-
Je ne vois pas ce qu’elle à de drôle ma
réponse ?!!
-
Non justement, c’est logique ; le
martinet ça fait mal ! Continua-t-elle à se bidonner.
-
Tu t’attendais à ce que je te dise
quoi ? Que c’était super agréable, que je préférais le martinet aux
sorbets ou aux pâtisseries !
-
Mais
non, en fait c’est ma question qui était idiote !
A ce moment là l’enseigne de vaisseau Mirabelle arriva
sur le gaillard d’arrière.
-
On rigole bien ici ? Dit-elle en
s’approchant.
Dorine et moi nous nous étions levés comme le règlement
l’imposait en face de tout officier. Mirabelle nous fit signe de nous rasseoir
et s’appuya sur le porte drapeau.
-
Vous n’êtes pas encore couchés ?
Demanda-t-elle en levant ses yeux vers le ciel étoilé.
-
Non, mais on ne va pas tarder, nous sommes de
quart à 4 heures. Répondit Dorine.
-
Oui, il ne faut pas veiller trop tard. Il
faut bien dormir pour rester toujours en forme. Nous conseilla-t-elle. On ne
sait jamais ce qui sera dans une heure.
-
Un navire ennemi ? M’inquiétais-je.
-
Oui ou une tempête. Répondit-elle en
respirant longuement.
-
Une tempête ! Bah, ce navire est
solide ! Vanta Dorine en tapant du poing sur le pont.
-
Le bateau tiendra le coup c’est sur !
Affirma Mirabelle. Mais, ajouta-t-elle en prenant un ton plus grave, les lapins
de mer profitent que les vagues balayent le pont pour nous attaquer. Gare a
celle ou celui qui se fait prendre dans leurs mâchoires.
Le lapin de mer est sans
doute le plus redoutable prédateur qui écume l’océan. Un gros lapin marin
orange avec une terrible mâchoire aux dents acérées.
Nos visages pâlirent et
Mirabelle s’en amusait.
-
Vous les mécaniciens n’avez rien à craindre
des lapins de mer, vous êtes en bas et en cas de tempête les sabords sont
Verrouillés. Nous rassura-t-elle. Maintenant allez prendre une douche et vous
coucher, c’est un ordre ! Acheva-t-elle en claquant ses mains.
Un ordre c’est un ordre, pas envie de me retrouver les
fesses offertes au martinet du bord, donc j’obtempérais suivit également de
Dorine qui pensait sans doute pas différemment de moi.
Hune : Platte forme située sur le mat.
Gabier : Matelot chargé du travail dans
la mature.
Guindeau : Treuil servant à relever l’ancre
ou à tirer les amarres.
Pavois : Garde fou disposé le long du bord d’un
pont pour empêcher de tomber.
Liston : Moulure en creux on en relief courant
sur tout le côté de la coque. Côte de la coque appelé aussi
« muraille »
Gaillard
d’avant :
Pont surélevé à l’avant du navire. Il y a aussi le Gaillard d’arrière.
Episode 4
Baptême du feu.
4 heures du matin, nous relevions Drule et Saline. Le
navire filait en vitesse de croisière et la mer était toujours aussi calme. Au
début, le bruit des Ventilettes dans les globes m’énervait mais je m’habituais
jusqu’à presque penser que le silence serait incompatible avec la salle des
venteurs. C’est le second maître Garle qui assurait la responsabilité de ce
quart. Il nous a fait apporter des biscuits du thé et du café. De temps en
temps, nous agitions les Faux Khon pour redonner un peu de vigueur au
Ventilettes.
Un peu plus d’une heure que nous étions au travail quand
la sirène du branle-bas de combat à craché l’alarme. Mon estomac a fait un
triple nœud et plus serré encore quand le second maître m’a donné un vrai sabre
et m’a placé à la vanne des Ventilettes en me recommandant de bien faire ce
qu’on m’ordonnerait. A la vanne du second globe, Dorine n’en menait pas plus
large que moi. Elle avait coincé son sabre entre ses cuisses et sa main qui
tenait la commande d’ouverture de la vanne tremblait.
Tous les mécaniciens étaient là. En chemise de nuit, en
pyjama, en sous vêtement… seuls les gradés étaient en tenue, à croire qu’ils
dormaient tout habillés.
Les artilleurs ont ouvert les sabords des quatre pièces
d’artillerie de la salle des venteurs. Avec des gestes rôdés ils ont mis en
fonctions les canons, préparé les doses de poudres et déverrouillé les norias
qui remontent les boulets de la calle.
Des gouttes de sueur froide me dégoulinaient sur le
visage. Le premier maître Rolin m’essuyait d’un chiffon.
-
Ça va aller Mike, ça va aller ! C’est
ton baptême du feu, c’est normal ! Ecoute bien les ordres et applique-les
sans réfléchir et tout ira bien. Tentait-il de me rassurer avant de rejoindre
Dorine qui n’était pas dans un meilleur état.
-
C’est un bâtiment Entoqué, ils ont faim ces
cannibales ! Hurlait un maître artilleur. Alors pas de cadeaux ! on
l’envoie par le fond et s’il y en a on essaye de récupérer les Inquêteurs !
-
Deux cents cinquante Ventilettes dans le
globe arrière ! Ordonna la passerelle, ordre relayé par le second maître
Garle.
Dorine ouvrait la vanne les yeux rivés sur le compteur.
Le premier maître était à côté d’elle pour la seconder.
-
Deux… Deux cent cinquante ! Dit Dorine
d’une voix sanglotante en coupant la vanne.
Le quartier maître Lilote actionnait le faux Khon. On
sentait le navire accélérer et virer de bord.
-
Chargez les pièces d’artillerie bâbord en
boulet de 18 livres. Commanda la passerelle.
Tout allait très vite… J’avais la trouille ! Bordel
je voudrais être ailleurs !
-
Trois cent Ventilettes au globe avant !
J’ouvrais la vanne. Le premier maître me posait une main
réconfortante sur l’épaule.
-
Allez, vas-y, ne quitte pas le compteur des yeux.
Me secondait-il.
Trois cent deux, j’ai dépassé, je ferme.
-
Ce n’est pas grave, ce n’est pas à deux près
en poste de combat ! Me lança le gradé en retournant vers le centre de la
salle.
Je crois qu’il n’y a pas pire que d’être aveugle de ce
qui se passe au dehors. Je jetais un rapide coup d’œil vers Dorine. Elle était
d’une pâleur autant éblouissante qu’inquiétante. Au dessus de moi, la
mécanicienne Lovinyou manœuvrait le faux Khon. Visiblement elle ne semblait pas
impressionnée par l’événement. Sans doute naviguait-elle depuis assez
longtemps. Glodine et Jéon préparaient les fusils en cas d’abordage. Ils
n’affichaient pas meilleures mines que nous, eux aussi étaient nouveaux. J’en
remarquais également chez les artilleurs.
-
huit cent trente mètres, Batterie bâbord,
paré à tirer. FEU ! En donna l’ordre la passerelle.
Un vacarme assourdissant nous percuta les tympans. Une
fumée acre envahissait la salle des venteurs et les ventilettes n’avaient plus
besoin du faux Khon pour être excitées.
Le chef de pièce commanda de régler le tir de quelques
degrés plus haut et ordonna le feu à volonté.
Il y avait du bruit partout, de la poussière de la fumée
et le premier maître Rolin était obligé de me parler directement dans l’oreille
pour faire suivre les ordres de la passerelle. 50 Ventilettes de moins, 30 de
plus, 100 de plus… ça tanguait à tribord, ou bâbord suivant les manœuvres. Le
navire trembla d’un coup, nous avions été touchés quelque part, mais pas ici.
Je sentais une odeur de brûlé. Saline et Tétakeu étaient envoyés sur le pont.
Ça n’arrêtait pas de tirer. Le bateau vibrait de partout.
-
boulets de 36 livres pour les batteries
d’entrepont et mitraille pour celles du pont principal ! Hurlait la passerelle.
On ne voyait plus
rien, mes yeux me piquaient, le second maître Tabagri mettait en fonction la
ventilation.
Encore un coup dans notre navire et le fracas du bois qui
craquait. J’allais mourir, c’est sûr…
Des cris, des ordres, les détonations qui se succédaient
sans cesse. La chaleur, l’odeur de poudre brûlée le martellement des pas sur le
pont, les Ventilettes, tout se mélangeait. Je serrais la poignée de mon sabre
de peur qu’il s’échappe. Bordel mais qu’est-ce que je fichais là ? Les
images de la maison et mes parents tranquilles à l’ombre du grand pommier
passaient dans mon esprit comme pour me faire regretter d’avoir suivit les
sirènes de la quête.
Le temps me paraissait interminable… Puis un cri de
victoire sortant du communicateur de la passerelle.
-
Ils sont cuits ! Ils coulent !
Tout l’équipage explosa de joie. Moi je m’affalais sur le
sol, mes nerfs s’étaient relâchés, je n’étais qu’une serpillière trempée de
sueur.
Le premier maître me releva.
-
C’est fini Mike, c’est fini… On a
gagné ! Tu vois, ce n’était pas si méchant que ça. Me disait-il avec un
large sourire.
Je séchais mes yeux et me retournais vers Dorine.
Soutenue par deux artilleurs elle vomissait toutes ses tripes dans un baril de
poudre vide.
-
Ventilettes à zéro et tout l’équipage sur le
pont et conduisez rapidement les blessés au compartiment médical !
Commanda la passerelle.
Le jour commençait à se lever. Sur le pont régnait un
indescriptible désordre. Des débris, des blessés, peut-être des morts, je ne
sais pas… La voile de derrière pendait en lambeau, la vergue supérieure était brisée.
Le gaillard d’avant était éventré et quelques membres d’équipage finissaient
d’éteindre l’incendie. A Bâbord, sur la mer, le navire des Entoqués n’était
qu’une masse cassée, déformée presque entièrement immergée que les flammes
consumaient. Quelques Entoqués pataugeaient accrochés à des morceaux flottants.
Le capitaine, l’enseigne et le lieutenant de vaisseau
semblaient chercher les inquêteurs parmi les survivants. Trois Boscos étaient
prêts à leur lancer un bout.
Le premier maitre Rolin nous entraina vers les auvents
des souffleurs. Il n’y avait pas de temps à perdre, les lames étaient tordues
et il fallait les redresser. En premier celle de la voile avant qui restait
l’unique en état et qui allait nous permettre de quitter les lieux. Jéon,
Glodine, Dorine Rolin et moi, démontions les lames abimées par la mitraille
puis nous les descendions sur le gaillard d’arrière afin qu’elles soient
redressées par les autres mécanos avant remontage.
Sur le pont principal il y avait effervescence,
apparemment ils avaient récupéré une Inquêtrice.
Je ne savais même pas à quoi ça ressemblait. J’essayais
de voir mais il y avait trop de monde autour d’elle. Ils l’emmenèrent vers le
carré des officiers.
L’enseigne de vaisseau Mirabelle inquiète venait se
renseigner de l’avancement des réparations. Pas avant une heure prévoyait le
Maître principal Bièle.
Les Gabiers et les Boscos s’affairaient à remonter une
vergue et une voile arrière neuve.
Une bonne heure plus tard, le souffleur de la voile avant
était opérationnel et nous repartions au ralenti. Une dizaine d’Entoqués
s’accrochaient désespérément aux quelques aspérités de la coque de notre navire
mais très vite lâchèrent prise et furent abandonnés à leur triste sort.
Pas de repos pour autant, après avoir remis en fonction
le souffleur arrière, nous allions aider à remettre en état le gaillard
d’avant. Tout l’équipage valide était au travail.
Nous apprenions que huit Vagalâmeurs avaient été tué et
qu’il y avait dix-sept blessés plus ou moins grave.
Ce n’était donc pas aujourd’hui que j’irais faire le malin
à l’infirmerie…
Episode 5
L’inquêtrice.
Ce n’est que vers midi que le navire avait presque
retrouvé son apparence d’avant la bataille si ce n’est que le gaillard d’avant
noircit par l’incendie et bordé à bâbord d’une rambarde de fortune.
Nous étions exemptés de poste de nettoyage pour nous permettre
de dormir un peu avant de reprendre le quart à 16 heures.
18 heures, le navire est mis en panne, tout le monde sur
le pont principal y compris les blessés.
Le capitaine allait présenter l’équipage à l’inquêtrice
et peut-être y trouverait-elle sa ou son Vagalâmeur. Enfin j’allais savoir à
quoi ressemblait une Inquêtrice.
Pour tout dire, je fus assez déçu. En fait c’était
quelqu’un de très ordinaire, pas différente de nous si ce n’est qu’un petit
rond nacrée sur la joue droite qui était commun à tous les Inquêtrices et
Inquêteurs.
L’équipage fut aligné, l’Inquêtrice nous passa en
revue ; ses yeux nous observaient en profondeur puis elle s’arrêta et
s’illumina d’un grand sourire devant une second maître Bosco. Elle lui tendit
la main afin de la faire sortir du rang. Cette dernière semblait hypnotisée et
rayonnait de partout. Sans dire un mot, enlacés elles ont suivis le capitaine
vers la cabine des passagers.
-
Et bien pour elle c’est gagné. Dit un petit
trapu à côté de moi en lâchant un soupir teinté de jalousie.
Sur ordre du lieutenant de vaisseau, les rangs furent
rompus et tout les marins renvoyés à leur poste sauf les blessés.
Un drapeau rouge avec une croix verte fut hissé à chaque
mat. Notre navire devenait alors inattaquable jusqu’à ce que l’inquêtrice et sa
Vagalâmeur soient débarqués dans un port nous instruisit Garle en redescendant
à la salle des venteurs.
-
Alors à chaque fois qu’un Inquêteur est à
bord, on ne risque plus rien ? Demandais-je au second maître tout en
manœuvrant les camemberts à graines.
-
Pas du tout Mike, seulement à chaque fois
qu’un Inquêteur à trouvé son Vagalâmeur. Sinon, quand nous avons un Inquêteur
vierge à bord, nous devons le signaler par un drapeau noir à croix rouge.
-
Et c’est quoi la différence ? Questionne
Dorine en balayant la poussière laissée par la poudre.
-
Le drapeau noir à croix rouge ne nous
préserve pas d’une agression, mais il prévient les autres navires Vagalâmeurs
que nous avons un Inquêteur à échanger.
-
Echanger contre quoi ? Demanda Dorine
avec curiosité.
-
Contre une ou un autre Inquêteur vierge
qu’ils auraient aussi recueillit à leur bord, ça c’est le meilleur des
échanges, sinon contre des membres d’équipage, de la poudre, des armes et plein
d’autres trucs. Nous expliquait Garle.
-
Et simplement le fait d’avoir un drapeau vert
à croix rouge nous protège de toute attaque ? Relançais-je en doutant un
peu.
-
Oh que oui, si jamais un navire enfreignait
cette loi, l’impératrice lancerait sa flotte à sa poursuite et je peux
t’affirmer que l’issue ne peut être que fatale pour les hors la loi de quel
camps qu’ils soient. Et quand je dis « issue fatale » ça peut durer
des jours, des semaines, des mois et peut-être des années avant le trépas. Les
gardes de l’impératrice sont sans complaisance envers ceux qui ont transgressé
les lois impériales !
-
Mais comment peut-elle savoir s’il y en a qui
n’applique pas la loi, l’océan est immense et elle n’y est pas ?
M’étonnais-je.
-
Elle à des espions sur tous les bateau Mike,
même sur celui là et on ne peut savoir qui. Peut-être est-ce toi ou
Dorine !
-
N’importe qui, même le capitaine ?
m’étonnais-je.
-
Oui mousse Mike, c’est pour cette raison que
personne ne peut savoir qui est l’espion.
-
Sauf lui ! Dis-je avec logique.
-
Même pas Mike, à part les espions officiels
de l’impératrice qui eux sont reconnaissable par leur uniforme, les autres ne
le savent même pas qu’ils sont espion. Ces inconnus, contrairement aux
officiels qui ont l’ouïe, la parole et l’image pour communiquer avec
l’impératrice, ne témoignent que par la vue ce qui est bien suffisant pour que
les situations soient parfaitement déchiffrées par l’Impératrice. Expliquait
Garle.
-
Mais comment, elle voit à travers leurs yeux.
Interrogeait Dorine perplexe.
-
Il se dit que l’Impératrice possède un
cristal qui permet d’avoir les images de ce que les espions voient. Répond
évasivement Garle.
-
C’est impossible, s’il y a un espion par
navire elle ne pourrait pas tout voir en même temps. Dit Dorine.
-
Il parait que les images lui parviennent que
s’il y a un fait particulier intéressants les autorités impériales…. Enfin
c’est ce qu’on raconte, je ne peux rien t’affirmer.
-
Ha… Donc l’espion du Bouchtrou ça peut être
vous. Fait Dorine en pointant du doigt Garle.
-
Qui sait… Fit-il en souriant. Mais
croyez-moi, pour tout manquement aux lois impériales elle est prévenue.
Ajoute-t-il avec cette fois une sureté qu’on ne peut mettre en doute.
-
On ne m’a jamais dit que l’impératrice était
aussi puissante. M’étonnais-je.
-
Bien
plus que ça Mike… Bien plus que ça ! Ceci dit, je tiens quand même à vous
transmettre que vous vous êtes bien comportés pendant la bataille. C’est
certain vous avez eut la pétoche mais au moins vous êtes restés à votre poste
en appliquant les ordres. Il arrive souvent que les nouveaux paniquent et
l’abandonnent. Autant vous dire que ce n’est pas très bien vu et que dans ce
cas il y a sanction.
-
Heu… C’est quoi la sanction ? Interrogea
Dorine d’une petite voix.
-
Houlà ! Abandon de poste pendant un
combat ça va chercher dans la semaine aux fers et minimum 50 coups de martinet
ou de paddle.
En entendant ça, je n’ai pas pu faire autrement que
m’asseoir lourdement sur le support d’un canon tant mes jambes ont soudain
perdu leur force. 50 coups de ce martinet, je crois que je ne m’en remettrais
pas. Quant à Dorine, son petit sourire narquois avait instantanément disparu.
-
On ne rigole pas à bord du Bouchtrou !
Eclata de rire le second maître.
En plus de nos fonctions de quart, nous avions aussi à
remettre en état la salle des venteurs. La bataille avait laissé son désordre
et sa poussière. Les globes de cristal en étaient couverts et le faux Khon
moins visible des Ventilettes ne faisait plus beaucoup d’effet.
Une fois le quart fini, la salle des venteurs était bien
rangée et parfaitement astiquée, nous avons même eut les félicitations du
premier maître Rolin.
Un bon dîner, une douche et au lit. L’espace entre les
bannettes superposées était plutôt étriqué et c’était tout un art pour se
coucher sans se bousculer. Fallait être souple pour se dévêtir discrètement
couché sur sa bannette couvert du drap ou de la couverture. Heureusement Dorine et moi avions les deux
couchages du bas et qu’en plus Jéon et Glodine étaient de quart jamais aux
mêmes heures que nous. A quatre en même temps, ce n’était pas jouable.
-
Dis-moi, elle est super ta chemise de
nuit ! me dit Dorine en me poussant un peu pour ranger ses chaussures en
dessous de la bannette.
-
Qu’est-ce qu’elle a de si particulière ?
-
J’aime bien ! Tu es comment en
dessous ? M’interrogea-t-elle.
-
Comment ça je suis comment en dessous ?
-
Tu as un caleçon, un slip ?
Sollicita-t-elle une précision.
-
Je t’en pose des questions moi ! Est-ce
que je te demande ce que tu portes en dessous de ton pyjama ?
-
On ne porte rien en dessous d’un
pyjama ! Me répondit-elle en roulant des hanches.
-
Hé bien c’est pareil pour une chemise de
nuit !
-
Hooo, tu es donc tout nu en dessous !
Jubilait-elle en tentant de soulever le tissu.
-
Mais t’es pas bien toi ! La
repoussais-je en lui claquant la main.
-
Ce n’est pas fini ce bordel ! on voudrait
bien dormir nous ! Hurla Tétakeu de la chambrée d’à côté.
-
Tu vois tes conneries, tu réveilles tout le
monde ! Dis-je à Dorine à voix basse.
-
C’était juste pour rigoler.
-
Et bien tu rigoleras un autre jour. Bonne
nuit ! Concluais-je en éteignant la lumière.
Deux jours plus tard nous sommes arrivés dans le port de
Kédébrum en territoire Crèvesueur. La ville était bâtie sur une colline
conique. C’était comme une immense pyramide couverte de maisons et bâtiments.
Sur le quai, les gendarmes de l’impératrice attendaient avec une calèche laquée
de rouge habillée de banquettes de soie blanche et tirée par douze chevaux
noirs. Leur mission était d’escorter L’inquêtrice et sa vagalâmeur jusqu’au
port de Saldimanche pour être embarqué sur une galère impériale qui les
conduira vers Fantasmaginaire et le palais de l’impératrice.
Mirabelle nous apprenait que toute union devait être
présenté, puis accréditée et signée par son altesse impériale.
-
Elle en a de la chance d’avoir trouvé son
Inquêtrice. Dit un quartier maitre Bosco à côté de nous.
-
Une Inquêtrice et une Vagalâmeur… Deux
femmes, c’est bizarre ça ? Estima Félanie d’un ton acide.
-
Leurs souhaits étaient complémentaires, c’est
le principal ! Le reste ne nous regarde pas ! Trancha L’enseigne de
vaisseau Mirabelle en nous donnant l’ordre de rejoindre nos postes de
nettoyage.
C’était ainsi à chaque fois que le navire accostait, tout
l’équipage était réquisitionné pour faire le grand ménage. Une fois cette
corvée accomplie, le capitaine distribuait les missions. Un groupe pour le
ravitaillement en vivres et médicaments, un second pour le renouvellement du
stock de poudre et de boulets, un troisième pour l’achat d’accastillages, de
pièces, de nouvelles voiles de rechange et de Ventilettes, puis un dernier
groupe pour accompagner l’enseigne de vaisseau Mirabelle à l’ambassade où se
trouvaient les bureaux de l’administration de la ville afin d’y faire valider
le carnet de bord et éventuellement récupérer des Vagalâmeurs sans affectation
pour remplacer les membres d’équipage tués au cours du combat avec les
Entoqués. Le bâtiment administratif de la ville était en fait une ambassade
générale à toutes les composantes de notre monde. Elle était donc une zone
neutre, les Vagalemeurs évadés des camps Crèvesueurs ou déserteurs de mauvais
navires y trouvaient souvent refuge.
Les membres d’équipage non affectés à une mission
extérieure restaient sur le Bouchtrou pour réparer la rambarde du gaillard
d’avant et certains allaient le long des quais mais avec interdiction de sortir
des limites du port s’ils n’étaient pas en nombre suffisant.
Je ne sais pourquoi Mirabelle avait insisté pour que
Dorine et moi nous soyons affectés à son escorte.
Le capitaine d’arme Grenadaplatre et le second maitre
Barézye nous avaient remis à chacun, un uniforme de sortie, un sabre, la
ceinture et son fourreau.
Pour Dorine et moi, c’était la première fois que nous
découvrions une ville d’un autre bord de l’océan et je dois avouer que nous
étions comme deux gosses devant un gros plateau de bonbons.
Nous avons très vite déchantés car si l’architecture de
la ville ne manquait pas d’intérêt, en revanche, la faune qui y circulait
n’était franchement pas rassurante. Il y avait de tout : Des Creuztatombs,
des Entoqués, des Kidnapingres et toutes les autres composantes malsaines que
ce monde engendrait.
-
Hé du Bouchtrou ! Nous interpella un
Entoqué borgne. Vous avez envoyé par le fond le Kuisdegigo il y a trois jours
mais vous ne perdez rien pour attendre. Un jour, on va vous faire votre fête.
On vous bouffera grillé. On vous balancera vivant dans la poêle ! On aime
bien voir les Vagalâmeurs gigoter quand ils rissolent.
Mirabelle, en tête de notre groupe, restait étonnamment
calme et n’a même pas jeté un regard vers l’Entoqué qui nous provoquait.
Moi, j’avais la main crispée sur la poignée de mon sabre
et la trouille au ventre. Bordel, grillé vif, mieux vaut ne pas tomber vivant
entre les mains de ces cannibales.
Tout c’était bien passé et nous avions récupéré cinq
Vagalâmeurs. Il y avait dans notre récupération, une certaine Lady Dark,
parait-il bonne cuisinière. Vu que le maître coq avait été tué quand un boulet
avait crevé le gaillard d’avant jusqu’à la cambuse, ça nous arrangeait bien.
Demain nous reprendrons la mer et je dois dire que c’est
ce que je préférais malgré les dangers.
Chef
de pièce :
Artilleur chargé de la visée d’une pièce d’artillerie
Bosco :
Marin dont la
spécialité est manœuvrier. (Amarrage, encrage etc…)
Bout : Se prononce « boute »
cordage.
Mitraille : Projectiles anti personnel, souvent des
gros boulets coupés en deux ou quatre dont les morceaux sont reliés par une
chaîne.
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