FANTASMAGINAIRE 2
( Les naufragés du Bouchtrou)
Ce récit n’est pas l’histoire officielle relatée par le
comité des historiens du territoire Végétateur dont Jack Klak est propriétaire
d’un exemplaire. Vous comprendrez que les survivants ne pouvaient tout révéler
aux chroniqueurs et ont raconté leur aventure en ne témoignant que du parcours
historique. Même s’il porte le même titre, le récit que vous allez lire a été
réécrit plus tard à titre privé par un des protagonistes authentifiant plus en
détail l’aventure qu’il avait vécue.
Episode 1
EMBARQUEMENT.
J’avais tellement envie d’ailleurs, de sillonner l’océan
central de notre petit univers. J’étais attiré par cette immense étendue
d’aventures, j’avais l’attrait d’être balancé, éclaboussé de cette eau violette
qui aux crêtes de ses vagues, quand il y a tempête, se coiffe d’écume
turquoise. On racontait tant d’histoires dans les tavernes des ports. Déboires,
naufrages, abordages, pillages, blessures, la mort, mais à qui survivait et
persévérait, la réussite du grand souhait et c’était bien de cela qu’il
s’agissait avant tout. Ce grand souhait, s’il faut le nommer ainsi… Ce grand
souhait nous serrait les trippes, nous excitait parce qu’on savait qu’il ne
pourrait s’éclore ni survivre caché sur notre bout de terre.
Evidement, chacune, chacun d’entre nous possède son insolite
petit désir, mais certains réclament un autre lieu, une autre complicité et
c’était mon cas.
Dans notre petit monde à nous les Végétateurs de
naissance, notre territoire est le socle d’une vie ordinaire où le bonheur
d’une relation simple satisfaisait ceux qui désirent y demeurer. Pour
quelques autres, l’enchantement était à Fantasmaginaire impérial et uniquement
là car leurs désirs particuliers ne pourraient y trouver d’épanouissement
ailleurs. Rien d’anormal, il en était ainsi depuis le début de notre monde.
Rester ou partir, c’était le choix que nous donnait la
majorité. J’étais de celles et ceux qu’une
différente flamme brulait et je n’avais d’autre envie que m’embarquer
afin d’en faire un grand feu. Je laissais derrière moi mes parents et aussi
quelques infortunés copains et amis qui malgré un désir, n’oseraient braver les
dangers de l’océan. Pour certains d'entre eux, un élément de leur existence deviendra
peut-être une frustration.
Celles et ceux qui ne partaient pas restaient des
Végétateurs. Une vie de labeur sans histoire…. Le temps qui passe à contempler
les jours, à regarder les enfants grandir et parfois les voir partir comme moi.
Une existence qui n’était pas dépourvue de plaisir et de bonheur, mais elle ne
pouvait convenir à tous et surtout s’accommoder de trop de particularité.
Pour moi rester
signifiait dormir mes nuits et petit à petit sentir mes pieds s’accrocher en
terre comme les racines d’un arbre jusqu’à ce qu’un jour le vent me couche.
Celles et ceux qui s’aventuraient sur l’océan, devenaient
des Vagalâmeurs. Un intervalle de vie de quête et d’aventures dangereuses et
souvent courtes, mais avec un peu de chance et de témérité, la récompense
d’enfin vivre et courir sur les pelouses de son jardin secret là où allaient
s’épanouir les fleurs de nos fantasmes.
Chacun avait une bonne raison de partir ou rester et
j’avais choisit de larguer les amarres car je ne voulais pas d’une destinée
sans goûter ce plaisir secret qui veillait à l’ombre de moi. Aujourd’hui j’étais majeur et je décidais de
quêter la lumière pour allumer mon désir.
Je n’étais pas seul à presser le pas vers le port.
D’autres, comme moi fraîchement majeurs suivaient le pavé usé qui conduisait
vers l’océan. Ils n’étaient pas différents. Chacune et chacun avaient son
souhait, chacune et chacun avaient l’espoir qu’une Inquêtrice ou qu’un Inquêteur
leur tendrait la main pour les conduire à Fantasmaginaire impérial.
Tout cela parait d’une grande simplicité mais pour monter
sur le pont d’un navire avoir un souhait ne suffisait pas. Celui là devait être
fort et sincère et Il fallait qu’il ne puisse ni se révéler ni s’épanouir sur
la terre des Végétateurs, sinon, à quoi bon s’embarquer et risquer sa vie. Les
plaisanciers n’existaient pas dans notre pays Végétateur !
A chaque porte des quais, un Chym veillait à ce qu’aucun
sans un singulier souhait et une solide motivation ne puisse mettre un pied sur
le pont d’un navire.
Le Chym était la dépouille d’un vagalâmeur mort de
vieillesse sans jamais avoir fait la rencontre d’une Inquêtrice ou d’un Inquêteur.
Mourir de vieillesse en étant embarqué était une chose plutôt rare tant
l’unique océan de notre monde était périlleux et truffé de pièges. C’est sans
doute pour cela que leurs corps tout secs et ridés étaient condamnés à rester
assis à l’entrée des quais jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre
malchanceux et jouir enfin du repos éternel. Ils étaient les gardiens de
l’accès à la flotte et à toutes les nouvelles et tous les nouveaux majeurs qui
n’avaient pas de souhait assez spécifique et puissant, il les marquait d’une
odeur épouvantable. Si puantes qu’aucun navire ne les acceptait. L’odeur ne
restait qu’une journée, juste histoire de décourager les prétendants à
l’aventure qui n’avaient pas cet essentiel bagage.
Pas besoin de leur parler, il suffisait simplement de
passer devant et le Chym savait parfaitement déceler votre secrète convoitise
même dissimulée au plus profond de votre esprit. Il ne fallait surtout pas
espérer les tromper avec quelques filtres ou astuces vendus par des arnaqueurs
qui pullulaient dans les ports de notre contrée car ceux qui avaient eut cette
illusion en avaient payé le prix fort.
Pour avoir tenté de tricher, ils étaient imprégnés de
l’horrible puanteur à vie et devaient vivre à l’écart de tous. Alors, ils
n’avaient d’autre choix que s’enraciner ensemble au bout de notre terre, dans
l’ombre des ravins qui marquent la fin de tout.
Je l’avoue, je n’étais pas rassuré en allant vers le port
de Galoban. Le Chym était là adossé sur le mur de granit, il me regardait
m’approcher avec ses yeux tout jaune sans iris ni pupille. Ses habits avaient
depuis peu été rafistolées par de bonnes âmes, les coutures étaient de fils
neufs et tranchaient avec les étoffes délavées et râpées. Jadis, il devait
avoir eut quelques bonnes fortune en mer, son chapeaux portait encore de rares
broderies d’or et autour de son cou décharné, pendait un gros diamant rose. Mon
cœur s’emballait et je ne cessais de me répéter « Et si le Chym ne
trouvais pas mon fantasme assez fort ? »
A mon passage il
me saisit le bras de ses doigts craquants d’os.
-
Holà jeune homme ! me fit-il de sa voix
déglinguée et musicalement désaccordée.
Mon souffle était suspendu et mon estomac pesant telle qu’une
masse de plomb aurait roulée au fond. Ce n’est pas l’infecte odeur momentanée
que je craignais mais que mon rêve d’évasion, d’aventure et de réaliser mon
désir soit anéanti.
-
J’en ai connu il y a fort longtemps sur mes
navires qui avaient la même quête que toi beau garçon. Ricanait le Chym en
montrant le fond de sa bouche sans dent.
-
Ah ? Ah bon ! Et… Et ils ont réussi
? Que je bafouillais en me forçant d’un sourire.
Le Chym hochait la tête mais je ne pouvais savoir si le
mouvement était positif ou négatif tant son cou désarticulé ne contrôlait plus
les mouvements.
-
Je crois que oui pour quelques uns mais les autres, Ha, ha, ha, ha ! Rigolait-il.
-
Les autres… que sont-ils devenus ?
-
Il y en a un qui a été coupé en deux d’un
coup de sabre pendant un abordage. Un autre, quelques années plus tard, qui a
été dévoré par des lapins de mer et une a disparu dans le port de Saldimanche…
Enlevé sans doute pour être vendu comme esclave ou comme viande. Ne prends pas
ces histoires pour argent comptant jeune homme, c’est simplement de l’histoire,
oui des banalités Ha, ha, ha, ha ! La réalité n’est pas bien différente
car une fois sur l’océan les dangers sont autant que les mouches sur un
cadavre ! Ha, ha, ha ! L’osque tu auras embarqué tu ne pourras plus
revenir en arrière ; le sais-tu ?
-
Oui monsieur le Chym…. Je…. Je le sais. Que
je lui répondais pas trop fier.
Il me tourna pour que je lui présente mon dos.
-
Tu as de belles fesses jeune homme, c’est un bon atout pour attirer
une princesse.
Mon visage s’est embrassé de rougeur. Il est vrai que mon
pantalon de toile bleue coupé juste au dessous des genoux était légèrement
moulant. C’était la mode chez les vagalâmeurs et Végétateurs.
-
Vous dites une princesse ? M’étonnais-je
amusé.
-
Ne fais pas l’idiot garçon, je sais ton désir
et tu le veux dans le confort et non dans une masure.
-
Heu… Oui bien sûr, de préférence dans un
endroit bien.
-
Je vais te laisser passer jeune homme, me
dit-il, mais un conseil ; ton souhait n’en parle pas aux autres Vagalâmeurs
même si ça te démange entre les jambes. Les Vagalâmeurs sont des concurrents,
si tu te dévoiles ils s’en amuseront et tu n’en tireras aucune satisfaction.
Toi, à l’inverse, ne te mêle pas des désirs des autres. Autre chose jeune
homme, choisit un bon bateau bien armé car une fois en dehors des eaux du port,
la vie est dure et la mort facile. Il n’y a pas assez de place pour les
souhaits de tous les Vagalâmeurs alors parfois, entre navire du même camp vous
vous entretuez pour qu’il en reste le moins possible, ça augmente les chances.
Tu comprends, il n’y a pas beaucoup d’inquêtrice et d’inquêteur, c’est la règle
de l’offre et la demande ha, ha, ha ! Rigolait-il si fort que quelques
lambeaux de peau tout secs se décrochaient de son visage.
-
Monsieur le Chym, comment je vais faire pour
reconnaitre mon Inquêtrice ?
-
Tu n’as rien à faire, si ton désir reste
toujours aussi solide, c’est elle qui te reconnaîtra. Une fois dépassé le
phare, tu ne seras plus chez nous mais tu y rencontreras tous les autres. Les Crèvesueurs
qui, si tu tombes entre leurs mains, te feront esclaves pour leurs manufactures,
les Creuztatombs qui pillent, exterminent les équipages et coulent les navires
par plaisir. Les Entoqués qui sont des cannibales, les Kidnapingres qui font
des prisonniers pour les vendre aux Entoqués ou aux Crèvesueurs et enfin ceux
qui t’intéressent, les Inquêtrices et les Inquêteurs qui recherchent les
Fantasmes des Vagalâmeurs. Ceux là n’ont pas de marine. Ils sont sur tous les
navires des autres et ne cherchent que la ou le Vagalâmeur qui les intéresse.
Vos querelles et tueries ne les captivent pas et d’ailleurs ils n’interviennent
jamais. Maintenant il est temps que tu déniches un bateau car dans moins de
deux heures les navires à quai vont partir.
La main du Chym libéra mon avant bras. Malgré sa mise en
garde et les dangers que j’allais rencontrer, j’étais heureux, mon souhait
était assez fort et je n’avais d’yeux que pour les navires amarrés.
Je n’étais évidement pas seul, il y avait plusieurs
autres nouveaux Vagalâmeurs des deux sexes qui haranguaient les officiers pour
se faire embarquer. L’un deux, un grand tout sec était assis sur un paquet de
cordage en se tenant la tête dans les mains.
-
Ça ne va pas ? Lui demandais-je.
Il releva son regard triste.
-
Personne ne veut de moi ! Me
répondit-il.
-
Ha bon, les équipages sont déjà
complets ? M’affolais-je.
-
Non, c’est parce que je suis trop grand. Me
dit-il en se levant.
Effectivement, ce gars, une fois déplié, me dépassait
d’au moins 60 ou 70 centimètres.
-
Whaaa ! mais quelle taille as-tu
donc ? Etais-je impressionné par le gaillard.
-
Deux mètres et trente deux centimètres !
M’indiqua-t-il d’un ton comme si cette mesure était une malformation. Les
plafonds des bateaux sont trop bas me disent-ils tous. Ajouta-t-il.
-
Mais alors, que vas-tu faire si tu ne peux
embarquer ?
-
Un capitaine m’a dit qu’il fallait que
j’attende le Kolossderod ou l’Empirstattbuldigue. Parait que ce sont des
bâtiments faits pour les grands. Mais voilà, je ne sais quand ils reviendront
au port si toutefois ils reviennent.
Comme je ne pouvais lui poser une main réconfortante sur
l’épaule à moins d’avoir un marchepied, je me contentais d’une amicale petite
tape sur ses cotes.
-
Ne désespère pas, je suis certain que dans
quelques jours ce sera ton tour. Je suis désolé ; il faut que je te laisse
sinon je vais rater le départ. Au cas où je ne trouve rien, je reviendrais ici
et nous attendrons ensemble les prochains retours.
Le grand me fit un signe de la main en me souhaitant
bonne chance. Les deux premiers bateaux avaient mis en travers de la coupée une
chaîne et une pancarte indiquant « Complet ». Du haut de la dunette
du troisième, le capitaine d’un signe me demanda d’aller voir plus loin. Le
quatrième, du nom de Padepo, m’accueillait à bras ouvert mais le bâtiment était
vieux et en mauvais état. Sa coque portait les stigmates de combats et était
reprisée de partout. L’armement était réduit et il ne disposait pour sa
propulsion que d’un seul souffleur ; l’équipage n’avait pas fait fortune
au point de restaurer convenablement son navire. Fort de ce que m’avait
conseillé le Chym, je passais mon chemin au grand regret du peu d’équipage qui
me promettait tout un tas de bonnes choses si je m’embarquais avec eux.
Le huitième navire était pimpant ; une frise
d’argent massif ornait toute la longueur de la coque et l’armement semblait
copieux. Un vieux bâtiment qui venait d’être rénové et modernisé. Je montais à
bord, une femme officier se tenait à côté de l’homme de garde.
-
Bonjour madame je…
-
Capitaine en second ! Me coupa-t-elle
sèchement.
-
Bonjour madame la capitaine en second !
Je viens pour signer un embarquement.
L’officier m’inspecta de la tète aux pieds et tâta mes
biceps.
-
Tu es bien mignon mon garçon, mais tu manques
un peu de muscle ; nous avons besoin de deux solides boscos. Pas de place
pour toi à bord, va voir plus loin ! Me renvoya-t-elle.
Il y avait déjà plus d’une demi-heure que j’allais de
navire en navire sans décrocher le moindre enrôlement. Le bout du quai était proche,
il ne restait que deux bâtiments et déjà les équipages se préparaient à larguer
les amarres.
C’est le capitaine du Bouchtrou qui m’a accepté en
supplément alors que, me disait-il, son équipage était au maximum. Je fus
affecté aux venteurs. Ce navire était très connu car il était le plus ancien de
la marine Vagalâmeur. Il ne lui restait pratiquement rien d’origine car il
avait été souvent renouvelé dans les chantiers de Galoban ce qui en faisait un
des bâtiments les plus modernes de la flotte.
Avant de poursuivre ce récit, faudrait quand même que je vous explique ce
qu’est un venteur !
Les navires fonctionnent tous à la voile mais, s’il y a
parfois du vent sur les terres il n’y en a jamais au niveau de la mer. Au
dessus de notre unique océan, le vent souffle qu’en altitude sauf quand il y a
une tempête et celles-ci sont courtes, mais violentes. Alors, pour alimenter la
voile en vent on se sert de Ventilettes. Les Ventilettes sont de grosses
libellules d’une vingtaine de centimètre d’envergure qui en remuant les ailes,
produisent un puissant mouvement d’air. Bien entendu pas assez fort pour
gonfler une voile mais lorsqu’on multiplie leur nombre on obtient le souffle
nécessaire.
Les Ventilettes sont enfermées dans un gros globe de
cristal qui se prolonge par un tube dont le diamètre se rétréci puis s’évase
juste derrière la voile. Le battement des ailes produit, tel un ventilateur, un
mouvement d’air qui s’échappe du globe par le conduit et monte en pression par
l’étranglement jusqu’à être pulsé par l’évent dans la voile. Suivant la vitesse
qu’on veut atteindre, on ajoute ou on ôte des Ventilettes.
Pour exciter les insectes afin qu’ils battent
continuellement leur ailes, on fait tourner autour du globe de cristal un faux
Khon empaillé qui est le rapace prédateur des Ventilettes.
Mon rôle, à bord de ce navire sera donc de m’occuper de
la bonne marche des deux venteurs qui alimenteront les deux voiles. Je suis
sous les ordres du premier maître Rolin, un Vagalâmeur qui navigue depuis trois
ans déjà. A la machinerie, nous sommes quatre nouveaux, deux jeunes femmes et
deux jeunes hommes.
Sur le pont c’est le branle-bas et en dessous, le premier
maître Rolin nous met à la tâche. Une centaine de ventilettes par globe, on
ouvre les vannes et le tourniquet compte les entrées d’insectes. Le faux Khon
est manipulé par le second maître Garle. Les Ventilettes s’excitent et
virevoltent dans le globe. On entend distinctement le bruit des ailes et la
pression d’air passer dans le tube. Le navire décroche du quai et mon cœur
s’emballe de joie. Enfin voilà ce que j’attendais depuis des années. L’océan
s’ouvre à moi et vers l’horizon une Inquêtrice m’attend afin d’exaucer mon désir et le sien. Heureux
certes, mais je ne suis pas sans ignorer que je risque de ne trouver que la
mort ou l’esclavage. Qu’importe, la seule pensée de rester à terre et
m’enraciner lentement sans avoir jamais concrétisé mon fantasme me donne le
courage de tout affronter. Faut-t-il spécifier que si une Inquêtrice me tend la
main c’est qu’elle aura deviné en moi son parfait complément. Ainsi les heureux
élus une fois rendus sur le territoire impérial de Fantasmaginaire, seront
définitivement unis avec leur Inquêtrice ou Inquêteur et vivront tout deux
leurs vies et leur fantasme sans vieillir. Tous les Végétateurs le savent, il
n’y a nulle part autant d’égale qu’avec une Inquêtrice ou un Inquêteur. C’est
la finalité de notre quête et pour elle nous bravons tous les périls sachant
que sur l’océan, la vie ne tient qu’a un fil.
Par l’ouverture d’un sabord je voyais le port s’éloigner
et sur le bout du quai le trop grand Vagalâmeur nous faire des signes d’au
revoir.
Episode 2
Le grand large.
Tous les navires ont mis le cap sur l’horizon et déjà, à
peine doublé le phare qui marque la fin du territoire Végétateurs que quelques
coups de canon se font entendre.
Rolin me pousse du sabord pour regarder.
-
C’est le Hoturié et le Butenblan qui
s’envoient de la fonte ! Fait-il en rigolant.
-
M’étonne pas, ils ne peuvent pas se sentir
les deux capitaines. Rajoute le second maître tout en continuant à manipuler le
faux Khon.
-
Mais pourquoi ? Demandais-je curieux de
connaitre les raison de cette querelle fratricide.
-
Une vieille histoire ; le capitaine du
Butenblan lorsqu’il était second sur le Hoturié avait arrangé une mutinerie qui
s’était terminée par le tribunal et l’interdiction pour le capitaine de
reprendre un commandement pendant un an. Depuis il en veut à mort à son ex
second devenu capitaine du Butenblan. M’instruisit le second maître.
-
Le Butenblan est dématté ! s’écrit Rolin
avec joie. Il doit retourner au port pour réparer. Ha, ha, ha ! un de
moins.
-
Et nous on ne risque pas la même mésaventure ?
Questionnais-je.
-
Non, Le bouchtrou est puissant. Ça freine les
ardeurs des concurrents. Rigola-t-il.
Nous naviguions depuis deux heures, j’étais de quart et
je devais faire tourner toutes les 30 minutes les gros camemberts de graines
pour les empêcher de coller et pourrir. C’est la nourriture des Ventilettes
alors il est très important qu’elle soit de bonne qualité.
Le capitaine est descendu à la machinerie pour instruire
les quatre nouveaux Vagalâmeurs.
-
Vous n’ignorez pas, nous dit-il, que chaque
campagne est un combat permanent. Pour trouver les Inquêteurs il nous faut
livrer bataille contre les navires ennemis. Vous allez donc apprendre
rapidement à manier le sabre et le fusil.
Il nous indiqua
aussi que si ont peut parfois se battre entre navires concurrents on ne peut le
faire entre Vagalâmeurs du même équipage. Il nous instruisit également que la
discipline à bord était stricte et que tout manquement au règlement était
sanctionné de punitions et de châtiments corporels.
Je ressentis un doux frisson me remonter la colonne
vertébrale mais je savais, par les nombreux témoignages écoutés dans les
tavernes du port, que les punitions n’avaient rien d’agréables même pour un
gars comme moi.
Petit à petit, la lumière du ciel baissait d’intensité,
dans moins d’une heure la nuit sera totale.
Nous étions répartis par petites chambrée de quatre et
bien entendu, les nouveaux ensembles. Jéon et Glodine étaient de quart et dans
notre tout petit espace ils ne restaient donc que Dorine et moi.
Tous les deux nous sommes assis sur le parquet entre les
bannettes.
-
Tu viens d’où ? M’interrogea Dorine.
-
De Kaspié à 15 kilomètres au nord du port de
Galoban. Et toi ?
-
De Tairose à l’ouest. Tu es content d’avoir
embarqué ?
-
Ho
bien sûr, j’en rêvais depuis très longtemps ! Et toi ?
-
Pareil, mais mes parents n’étaient pas
d’accord. Ils me disaient que les histoires de souhaits à réaliser n’étaient
que légendes et qu’il valait mieux être des Végétateurs, comme eux. J’espère
qu’ils ont tord ! Me racontait-elle.
-
Ben… Jamais un Vagalâmeur qui à réussi sa
quête n’est revenu pour en témoigner. Mais d’après ce que disent certains, ils
seraient très heureux à Fantasmaginaire impérial. Relatais-je.
-
Pourquoi les Vagalâmeurs qui y sont parvenu
ne reviennent jamais à Galoban nous le témoigner de vive voix ?
Interroge-t-elle avec un fond de voix soupçonneux.
-
Je l’ignore… Je crois que comme ils ont
trouvé ce qu’ils cherchaient, rien ne peut les faire revenir sur la terre des
Végétateurs. Peut-être ont-ils peur, s’ils reviennent, que des racines poussent
à leurs pieds et les empêchent de repartir ? Plaisantais-je.
-
Tu as peut-être raison. Me dit-elle avec un
large sourire.
-
Dormons un peu, nous sommes de quart dans
moins de 3 heures.
C’est l’homme de garde qui nous à secoué pour que Dorine
et moi allions prendre la relève aux venteurs. Pour tous les nouveaux comme
nous, c’était une autre façon de vivre. Les quarts, les postes de nettoyages,
les postes de manœuvre et de combats sans jamais une nuit complète.
A minuit, nous avons donc relevé Jéon et Glodine. Le
navire était en vitesse de croisière et notre rôle, à moins d’un ordre
différent, était de maintenir l’allure. Dans ces conditions, le travail était
plutôt tranquille. Nous changions les Ventilettes toutes les heures et toutes
les trente minutes nous donnions quelques tours au camembert à graines. Le
quartier maître… Ou plutôt la quartier maître Lilote était assez sympathique.
Ça faisait bientôt une année qu’elle naviguait sans avoir encore trouvé son
Inquêteur. A son épaule droite, une entaille cicatrisée témoignait d’une rude
escarmouche. Elle nous racontait d’ailleurs que depuis qu’elle était sur le
Bouchtrou, elle avait vécu huit abordages et douze combats navals, que le
Bouchtrou et son équipage avaient repoussé ou gagné. Elle nous disait également
qu’une centaine de Vagalâmeurs y avaient laissé la vie et qu’un bon nombre
d’autres étaient gravement mutilés. C’est étrange comme cette dramatique
perspective nous laissait froid. Sans doute que seul le souhait à réaliser,
s’il se concrétisait par la rencontre d’une Inquêtrice ou d’un Inquêteur,
donnerait à notre vie sa réelle valeur et que le reste pesait moins lourd dans
la balance.
4 heures du matin, c’est
Rolin et les mécaniciens Drule et Saline qui nous ont relevés. Pour
Dorine et moi, c’est dodo jusqu’à 7 heures.
Le soleil s’engluait dans les brumes matinales. Lorsque
Jéon, Glodine, Dorine et moi sortions sur le pont avec le capitaine d’arme pour
une leçon de sabre, il régnait une ambiance plutôt joyeuse au long du pavois
tribord. Tous les marins de pont y étaient. Nous nous approchions pour voir ce
qui les intéressait tant. Sur l’eau calme flottaient quelques débris de navire.
-
C’est le Padepo ! S’écria Rikoché !
-
Tu as raison, c’est bien le Padepo, je
reconnais son liston ! Adjoint le lieutenant de vaisseau Roupiye en
montrant un morceau de coque flottant. Apparemment, aucun survivant.
Ajouta-t-il en faisant un tour d’horizon.
Le capitaine arriva à son tour, les hommes et femmes
d’équipage s’écartèrent pour lui laisser la place.
-
Pas de doute, c’est bien le Padepo. Peut-être
est-il tombé sur des Creuztatombs ou des Entoqués. Conclu le capitaine sans
certitude.
-
Moi j’crois plutôt qu’il était tellement
pourri qu’il à sombré tout seul ! Ricana le maître bosco.
-
C’est possible mais j’en doute… Vu les
débris, ils ont été proprement canardé. répondit le capitaine, paix à leurs
âmes. Lieutenant, dîtes aux veilleurs de redoubler de vigilance on ne sait
jamais. Commanda-t-il.
Moi de mon coté je soufflais de soulagement. Dire que le
capitaine et l’équipage du Padepo m’achetaient de promesse pour que je monte
à bord de leur bateau… Et bien si
j’avais cédé à leurs sirènes, en ce moment je serais déjà dans l’estomac d’un
lapin de mer ou le corps déchiqueté par la mitraille.
La récréation était terminée, les officiers donnaient des
ordres. Le capitaine d’arme nous conduisit au gaillard d’avant pour nous
instruire au maniement du sabre. Pour le moment, l’initiation se faisait avec
des armes en bois mais, nous annonça l’officier, bientôt nous apprendrons avec
les vrais.
A 12 heures Dorine et moi reprenions le quart. Toujours
en vitesse de croisière, ce qui nous donnait le temps de papoter un peu avec
Lilote.
-
Le capitaine est jeune ? Questionna
Dorine.
-
Il a remplacé l’ancien depuis sept mois. Nous
apprit le quartier maître. Mais il est bon aussi ! ajouta-t-elle comme
pour nous rassurer.
-
Et l’autre qu’est-il devenu ? Lui
demandais-je.
-
Il s’est pendu pour ne pas devenir un Chym.
Ça faisait plus de cinquante cinq ans qu’il parcourait l’océan et jamais il n’a
trouvé son Inquêtrice ou son Inquêteur. Alors désespéré, il à mis fin à ses
jours de la seule façon possible pour ne pas être un Chym, car vous savez qu’on
le devient que si on meurt de vieillesse.
A ce moment là, un premier maître descendit en machinerie
pour nous annoncer qu’à 18 heures il y aurait spectacle sur le pont principal.
Felanie, nous disait-il, allait être puni pour n’avoir pas relevé le barreur à
l’heure.
L’homme grimaça comme pour indiquer qu’elle n’allait pas
passer un bon moment et remonta sur le pont.
-
C’est quoi la punition ? Demanda Dorine.
-
C’est difficile à dire, c’est le capitaine
qui décide mais en toute logique c’est du niveau 3. Peut-être vingt ou trente coups de martinet
sur les fesses nues. Répondit Lilote.
-
Fesses nues, ça ce n’est pas génial pour la
punie mais vingt ou trente coups, ce n’est pas bien méchant. Que j’estimais en
faisant tourner les camemberts.
-
C’est parce que tu n’as pas encore vu le
martinet ! Me rétorqua Lilote en secouant sa main De haut en bas.
Bonsoir Mike !
RépondreSupprimerToujours aussi coloré vos récits. Et l'illustration nous fait voyager. Tout le talent des dessinateurs... Et les dessins qui accompagnent votre présent récit m'ont fait repenser à l'album de Tintin à la recherche du trésor de ses ancêtres dans " le trésor de Rackham le Rouge" , avec la "croisière " en mer et les détails de leur navire "le Sirius". Bravo. Toujours la ligne claire, fidèle à Hergé. Merci Mike. Peter Pan.
Si ce deuxième volet vous passionne et vous fait rêver, je ne peux que m'en réjouir.
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